Transition énergétique : décroissance ou puissant moteur de croissance ?
Bruno Lechevin, Président de l'ADEME, revient aujourd'hui dans Les Echos sur l'évaluation macro-économique des scénarios énergétiques proposés par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie.
Le débat sur la transition énergétique est un débat global sur l'avenir de notre société face aux enjeux énergétiques et climatiques. Il engage notre avenir économique et nos emplois. Cette transition conduirait-elle à une perte de compétitivité de nos entreprises et à la décroissance ou, au contraire, est-elle un puissant moteur de croissance et de création d'emploi ?
Le scénario proposé par l'Ademe dans le cadre du débat permet, aux horizons 2030 et 2050, une diminution de notre empreinte environnementale et de notre consommation d'énergie sans qu'il s'agisse d'un scénario de décroissance économique ou de désindustrialisation, ni d'un renoncement à la qualité de vie souhaitée par les Français.
Cet exercice non exclusif montre qu'il existe des voies possibles vers une division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050.
Outre le transport, pour lequel il s'agit d'améliorer les performances énergétiques des véhicules et d'offrir de nouvelles perspectives à nos modes de déplacement, l'essentiel des réductions de consommation d'énergie de ce scénario porte sur le bâtiment. La proposition de l'Ademe s'appuie sur un vaste programme de rénovation qui mobilise l'ensemble des métiers de la construction et des matériaux ; les marchés induits vont créer de nombreux emplois non délocalisables tout en réduisant la facture de nos importations en énergies fossiles. De 2006 à 2011, le marché de l'isolation est ainsi passé de 7,5 à 10,2 milliards d'euros, une augmentation d'activité qui représente un besoin en main-d'oeuvre supplémentaire de 22.000 équivalents temps plein.
Selon le scénario proposé, l'industrie française, dont la production globale augmente, accroît son efficacité énergétique permettant une baisse de sa consommation d'énergie et renforçant ainsi sa compétitivité. Les gains en efficacité réalisables d'ici à 2030 sont estimés par l'Ademe à 20 %, les trois quarts par des solutions techniques déjà largement éprouvées qui restent à généraliser. Cette trajectoire permet aux entreprises françaises d'anticiper l'évolution des coûts de l'énergie sur les marchés internationaux et d'investir efficacement. Elle préserve également le revenu disponible des ménages, une fois les travaux et la facture énergétique payés, et contribue à enrayer l'évolution à la hausse de la précarité énergétique.
L'évaluation de l'impact macroéconomique à moyen et long terme de ce scénario énergétique par l'OFCE montre que les options retenues sont bénéfiques pour l'économie et l'emploi. La croissance du PIB est légèrement supérieure à celui d'un scénario de référence tendanciel (de 1,8 point de PIB supplémentaire en 2030, à environ 3 points en 2050) et permet d'envisager près de 317.000 créations d'emplois d'ici à 2030, 800.000 d'ici à 2050.
Cette vision industrielle des marchés de demain, intérieurs comme extérieurs, est très largement partagée à travers le monde et la plupart des pays misent sur leur croissance. En Corée du Sud, les exportations de technologies vertes devraient dépasser celles du Japon dès 2015, alors que ce dernier est le leader mondial de l'innovation sur ce secteur. La Chine a retenu sept orientations stratégiques industrielles dans son dernier plan, dont l'efficacité énergétique ou encore les véhicules propres.
A ce jour, en France, près de 1 milliard d'euros de soutien public a été engagé par l'Ademe dans le cadre du programme investissements d'avenir en faveur d'une centaine de projets industriels dans les domaines des énergies renouvelables, des réseaux électriques intelligents (REI), des véhicules et du recyclage, soit plus de 3 milliards d'investissement. L'analyse des perspectives de marché des partenaires industriels permet d'envisager un impact de plus de 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2020.
Une consommation énergétique réduite de 18 % en 2030 et de près de 50 % en 2050 permet d'appréhender plus sereinement le débat sur le mix énergétique et la place des énergies renouvelables par rapport à celle du nucléaire. Les termes du débat ne sont pas ceux d'une transition énergétique qui se ferait au détriment de l'activité industrielle et de l'emploi, mais bien ceux du choix d'une opportunité de croissance. La France est prête.
Bruno Lechevin